Cézanne et les Maîtres Rêve d’Italie
Le musée Marmottan Monet présente actuellement une exposition consacrée à l’illustre peintre d’Aix-en-Provence, Paul Cézanne, dont la ligne directrice est orientée vers un dialogue avec les grands maîtres italiens du XVIème et du XVIIème siècle, ainsi que ceux du Novecento.
Une soixantaine de toiles sont ici réunies pour mettre en lumière l’influence de l’italianité dans la peinture cézanienne. Ce nouveau regard enrichit cette idée de « Rêve d’Italie », alors que l’Aixois n’a jamais mis un pied dans la péninsule italienne. Empreint d’un amour inconditionnel pour sa Provence natale, Cézanne a singulièrement révélé sa lumière, sa nature, en se nourrissant de ses aînés, mais toujours de manière novatrice, intrinsèquement imprégné de sa propre sensibilité et de sa vérité.
Cézanne a donc découvert les maîtres italiens à travers les livres, les musées, les gravures. « Rêve d’Italie » ne s’inspire pas de documents où il aurait témoigné de son admiration pour ces chefs-d’œuvre. C’est au contraire un travail d’exploration des commissaires de l’exposition, disséquant les multiples tableaux référencés, et mettant en exergue les inspirations inhérentes à ces peintures. C’est en puisant émotionnellement chez les anciens que de nouvelles sensibilités, que de nouveaux bouleversements, tant plastiques que sensoriels, surgissent et donnent naissance à une entité artistique et créatrice. Cézanne confiait lui-même : « Peindre, ce n’est pas copier l’objet servilement, c’est saisir une harmonie entre de nombreuses relations. » En évoquant le musée du Louvre, l’Aixois le qualifiait de « livre dans lequel nous apprenons à lire ». Cependant il approfondissait : « le Louvre est un bon livre à consulter, mais il ne doit être qu’un intermédiaire. L’étude réelle et immense qui doit être prise est l’image multiple de la nature ». Une lettre d’Emile Bernard évoquant Cézanne appuie ce propos : « En art il (Cézanne) ne parle que de peindre la nature selon sa personnalité et non selon l’art lui-même. »
Dans « Connaissance des arts », le commissaire Alain Tapié explique : « C’est un peintre du surgissement. Il filtre ce qu’il voit dans la peinture italienne ancienne, comme il filtre ce qu’il voit dans le paysage, pour en conserver l’essence fondamentale. (…) Il ne va pas copier le style des artistes, mais s’inspirer de leurs visions. » C’est pour cette raison que A. Tapié assimile cette exposition à une « approche organique de la peinture ».
Le parcours se divise en deux parties. La première s’axe sur la mise en lumière des inspirations des grands maîtres de l’Ecole Vénitienne (Titien, Le Tintoret, Bassano, Le Greco…), de l’Ecole Napolitaine (Ribera, Caravage…) et de l’Ecole Romaine (avec le classicisme de poussin, Munari…) des XVIème et XVIIème siècles. Chez l’un est mise en valeur la structure spatiale en touches de couleurs, chez un autre la construction lumineuse, chez un troisième la manière dont le peintre ressent cette nature qui lui est si chère, et comment il la retranscrit… Toutes ces stimulations artistiques, toutes ces italianités, ressurgissent à travers les toiles exposées afin que nous en ressentions les influences.
La seconde partie révèle l’influence de Cézanne sur les peintres italiens du Novecento, tels Carlo Carrà, Mario Sironi, Giorgio Morandi…, qui étaient en quête d’une vision artistique harmonieuse, désireux de renouer avec une tradition issue de l’esprit antique.
La co-commissaire Marianne Mathieu, qui est directrice scientifique du musée Marmottan, met en exergue la créativité de Cézanne : « Sa postérité est double, avec d’un côté l’éclatement du cubisme et de l’autre ce regard italien, plus classique, sous le pinceau de peintres qui s’inscrivent dans cette notion de permanence, d’intemporalité ». C’est ce second regard qui est mis à l’honneur dans cette exposition. Dans une lettre à son ami Émile Zola, en 1878, il confiait lire pour la troisième fois l’« Histoire de la peinture en Italie » (1817) de Stendhal. Et dans une correspondance avec le peintre Émile Bernard, il confiait : « Les plus grands, vous les connaissez mieux que moi : les Vénitiens et les Espagnols ». La réflexion plastique du peintre Aixois, la puissance constructive de la composition de ses œuvres, la transmission de ses émotions… tous ces aspects artistiques nous questionnent en déambulant à travers les salles de cette exposition. Cette autre manière d’appréhender les stimulations esthétiques de Cézanne enrichissent notre perception du peintre. Quant aux influences qu’il a à son tour prodiguées aux peintres du Novecento, elles réfèrent d’un héritage que Cézanne lui-même avait reçu des grands maîtres des XVIème et XVIIème siècles. Une belle boucle en somme.
Cézanne et les Maîtres
Rêve d’Italie
Musée Marmottan Monet
Du 27 février 2020 au 03 janvier 2021