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Tre Piani De Nanni Moretti 2/2

Toutes ces relations sensibles et pénibles entre tous les personnages attirèrent le cinéaste qui désira les traiter frontalement, mais avec humanité et empathie. Sa manière de le faire prit une tonalité radicale, laissant de côté son côté railleur que l’on retrouve habituellement chez lui.

Comme le dit le cinéaste sur RTBF : « Il n’y avait de place dans ce film que pour un ton sec, essentiel, pour rejoindre la simplicité, comme ligne d’arrivée et non comme point de départ. (…) Mais il n’y avait pas de place pour l’ironie. » Les propos du directeur de la photographie Michele d’Attanasio renforcent cette optique : « Déjà quand j’ai lu le scénario de « Tre piani » j’ai réalisé que ce n’était certainement pas un film « à la Moretti ». Dans tous ses films précédents, même les plus dramatiques, il y a toujours un peu de grotesque, d’ironie, ces registres pour lesquels on connaît Moretti. (…) Dans « Tre piani » c’était un autre imaginaire, avec d’autres tons. (…) ici Nanni ne veut jamais surprendre le spectateur avec des jeux de lumière inattendus. (…) « Tre piani » se caractérise par une grande statique de réalisation, avec peu de mouvements de caméra et la plupart des plans plutôt secs et stables. (…) Ce film était beaucoup plus granitique. » (ANEC) Les mouvements de caméra sont effectivement peu visibles, d’une lenteur qui les rend imperceptibles lorsqu’il y en a. Ce qui dégage une ambiance pure, sèche, étouffante parfois. L’explosion de la cellule familiale nous est livrée à travers une sobriété formelle et structurale qui nous relie directement à ces personnages qui se débattent face à la déperdition des repères, à la confusion généralisée qui les a envahis dans ces moments de vie. Les comédiennes du film ont livré une interview à « Corriere », où elles témoignent ensemble : « Nanni s’est incliné devant l’histoire, avec beaucoup de rigueur et de respect, il n’a pas voulu laisser de place au superflu, au contraire il nous a demandé de travailler par soustraction - disait-il – et de ne rien ajouter qui n’était pas déjà dans ces personnages et leurs histoires. Il pousse vers la recherche de leur authenticité à travers un travail profond, précis, lucide (…) c’est un aspect qui oblige l’acteur à renoncer aux artifices et aux vices de la forme, donnant vie à un jeu essentiel. » Nanni Moretti est un metteur en scène qui prête une attention d’une extrême vigilance vis-à-vis du jeu de ses comédiens. Pour un même plan, il n’hésite pas à faire une vingtaine, voire une trentaine de prises, chacune comportant un élément différent, même infime, afin d’avoir un large choix au montage. Sa capacité à se concentrer sur le moindre mouvement, du corps ou juste d’une petite partie du corps, sur un élément vestimentaire, ou tout autre broutille qui a priori ne nous interpellerait pas, en bref sur le moindre petit détail, différencie chaque nouvelle prise. Comme le constate Michele d’Attanasio, « Lorsqu’on dit à un acteur « c’est bon, passons au plan suivant », son visage est épuisé. » (ANEC) Cette précision est fondamentale pour Nanni Moretti. C’est une véritable analyse en profondeur, voire radiographique, de cette micro-société désillusionnée, et le moindre détail a son importance, son authenticité. Tout ce travail accentue son désir d’analyser les moindres tensions de chacun. Mais il y a cependant une lueur qui vient clore cet opus noir et dense : la dernière partie du film embrasse une scène de danse qui, elle, fait résonnance avec le cinéma de Moretti, telle une moralité intrinsèquement humaniste. Cette scène, filmée devant l’immeuble aux trois étages, où les protagonistes se rassemblent pour observer cette scène d’union et de joie, n’était pas dans le roman. Nanni Moretti nous explique : « Nous l’avons ajouté. Il est important de s’ouvrir sur l’extérieur en évitant d’être trop fermé dans nos vies. Au cours des deux dernières années, on nous a dit un mensonge affirmant que nous pouvons vivre sans les autres, sans se sentir membre d’une communauté. Au final, le film s’ouvre sur l’extérieur, sur les autres et sur l’avenir. » (Movieplayer) La belle image où Dora et Andrea portent enfin un regard serein l’un envers l’autre amplifie ce désir d’ouverture.

L’équipe a eu la chance de tourner dans un immeuble totalement alloué au tournage, puisqu’il était en vente et donc absolument libre. La durée du tournage fut de seize semaines et les deux caméras utilisées furent une Alexa XT et une Alexa Mini, fréquemment employées simultanément.

« Tre piani » est un film singulier dans la filmographie de Nanni Moretti, sans fioritures, empreint d’un regard aiguisé sur la complexité des rapports humains et des grandes souffrances morales et affectives qui en découlent. Mais il tient à entrouvrir une fenêtre sur le monde extérieur, sur la possibilité d’une réconciliation. Le cinéaste croit profondément en l’humain.

 

 

 

Réalisation : Nanni Moretti / Scénario : Nanni Moretti, Federica Pontremoli, Valia Santella / Comédiens : Margherita Buy (Dora), Nanni Moretti (Vittorio), Alessandro Sperduti (Andrea), Alba Rohrwacher (Monica), Adriano Giannini (Giorgio), Elena Lietti (Sara), Riccardo Scamarcio (Lucio), Denise Tantucci (Charlotte), Paolo Graziosi (Renato), Anna Bonaiuto (Giovanna), Stefano Dionisi (Roberto) / Direction de la photographie : Michele d’Attanasio / Montage : Clelio Benevento / Décor : Paola Bizzarri / Son : Alessandro Zanon / Production : Sacher Film, Fandango, Rai Cinema, Le Pacte / Distribution : The Match Factory, Le Pacte (France)