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Les Amours d'Anaïs de Charline Bourgeois-Tacquet

Anaïs est une jeune femme de trente ans pétillante, aérienne, virevoltante, démesurément en mouvement. Encore étudiante à la Sorbonne, où elle poursuit sa thèse sur l’écriture de la passion au XVIIème siècle, elle évolue en électron libre au gré de ses désirs, à un rythme effréné que personne ne peut arrêter. Claustrophobe, ne pouvant descendre dans le métro ni monter dans un ascenseur, elle arpente allègrement Paris en bicyclette ou à grands pas, gravissant les escaliers avec célérité, courant d’un rendez-vous à un autre, papillonnant selon ses envies, sa fantaisie

Anaïs a peu d’argent mais elle se meut dans un univers lettré, intellectuel, proprement parisien. Son flot incessant de paroles vient surenchérir sa rapidité corporelle. Alors qu’elle s’éloigne de son petit ami du moment, elle rencontre un éditeur d’âge mûr, Daniel (Denis Podalydès) qui est immédiatement séduit par sa vitalité et son naturel dévastateur. Elle entretient alors une courte liaison avec lui avant de tomber sous le charme de l’épouse de Daniel, Emilie (Valeria Bruni-Tedeschi), romancière reconnue dans le fleuron du milieu littéraire.

Dans son scénario, Charline Bourgeois Tacquet plonge naturellement dans le monde de la littérature et de l’édition qu’elle perçoit avec clairvoyance puisqu’elle en a fait partie pendant un certain temps. Dans son processus d’écriture, la scénariste-réalisatrice esquisse en premier lieu les dialogues : « J’ai un rapport assez intense à la langue, j’écris d’abord les dialogues, et c’est sur cette base que je construis le reste. J’aime beaucoup mélanger les registres de langue. Anaïs emploie un langage hybride, propre à son milieu littéraire, un peu intello, elle utilise un vocabulaire recherché et en même temps, sa spontanéité lui fait dire des choses familières, assez brutes de décoffrage. La logorrhée renforce l’aspect comique, mais révèle aussi l’aspect un peu enfermé en lui-même, coupé du monde, un peu perdu du personnage » (Interview de Charline Bourgeois-Tacquet dans « Trois couleurs »). Il est vrai que le flux de paroles de l’héroïne nous interroge sur les propres questionnements d’Anaïs, qui converse avant tout avec elle-même, qu’elle soit en présence d’autres personnes ou pas. Ce qui provoque des scènes drolatiques, comme celles avec sa propriétaire ou encore lorsqu’elle fait visiter son appartement à des touristes coréens.

Le fil conducteur du film s’insère dans cette impulsion de vie qu’est le désir d’Anaïs. La narration suit naturellement les aspirations de l’héroïne, la poursuivant dans le tourbillon de sa vie dans la première moitié du film, tournoyant irrésistiblement autour de l’agitation effrénée de son corps. Lors de la rencontre avec Emilie, l’intensité rythmique s’apaise, s’attardant sur l’attention particulière d’Anaïs, vivement séduite par l’aura de la romancière.

La mécanique rythmique du film repose sur une partition extrêmement préparée afin de bien équilibrer l’harmonie filmique. Charline Bourgeois-Tacquet explique dans « Le film français » : « J’avais envie d’une mise en scène assez virevoltante, avec beaucoup d’énergie et de mouvement. En accord avec la personnalité de l’héroïne. Et je tenais à recourir le plus souvent possible au plan-séquence, notamment pour ne pas couper constamment les comédiens, pour que le jeu puisse se déployer dans une certaine durée. La conséquence de ça, c’est que j’avais beaucoup chorégraphié les scènes, et que j’ai principalement donné aux acteurs et aux actrices des indications de déplacement et de rythme. Cela suppose d’être assez précis, assez technique (…). »

La réalisatrice ne voulait pas filmer en champ-contrechamp. Avec le directeur de la photographie Noé Bach, les préparatifs ont été longs et laborieux. Ils ont travaillé intensément durant le confinement afin de pré-découper le film avec précision. Noé Bach raconte : « Charline vient d’un univers plutôt littéraire. Elle a un grand appétit pour la mise en scène, sans forcément avoir les outils techniques. C’est aussi pour ça qu’on a fait ce travail de discussion qui nous a forcés à mettre des images sur ce film très dialogué. L’idée c’est une rencontre entre le verbe et l’énergie du mouvement et des corps. Très vite on a imaginé beaucoup de plans-séquences. C’est aussi ce qu’on avait fait pour le court-métrage, on voulait que ce soit dans l’énergie du personnage, un flot de paroles et des mouvements qu’on a voulu garder dans la continuité. Pour certaines scènes, on faisait des plans-séquences avec variantes, ce qui permet d’avoir des points de montage. Ce principe de filmer en plans-séquences, c’est beaucoup plus dur à éclairer. Mais en même temps c’est ce pari là qui est intéressant à relever. » (AFC)

Vu les contraintes que la metteuse en scène et le chef opérateur s’étaient fixés, le repérage et le découpage au sein même des décors furent eux aussi réalisés avec un soin méticuleux. Charline Bourgeois-Tacquet fut très méthodique. Elle joua les différentes séquences de son film avec sa scripte, son assistante réalisatrice, son compagnon même,…  Noé Bach les filmait avec son iphone, expérimentant ainsi la manière dont les personnages évolueraient au sein de chaque scène, ainsi que la circulation de la caméra. La mise en scène fut ainsi minutieusement préparée, par la mise en place d’une chorégraphie réfléchie qui fut très avantageuse lors du tournage. Car la caméra de Noé Bach suit, court après Anaïs, d’où la nécessité d’être au point sur les déplacements, d’autant plus que ce sont des plans-séquences. La jeune femme dicte son tempo, avec un entrain insouciant, joyeux. Nous suivons la célérité de ses jambes mises en valeur par des robes courtes et colorées, aussi gaies que celle qui les porte. 

Mais il y a bien deux temps dans ce film. Le personnage d’Emilie ne surgit qu’à la quarantième minute. Avant son arrivée la caméra de Noé Bach circule inlassablement, suivant Anaïs qui ne cesse de papillonner sans parvenir à pondérer ses ardeurs. Le film débute à Paris, où la jeune femme se meut dans un milieu intellectuel et vit au rythme intense de la ville. Mais à partir du moment où Anaïs est attirée par Emilie, Charline Bourgeois-Tacquet emmène son héroïne à la campagne, avec une échappée à la mer très charnelle. La nature devient prépondérante, mettant en exergue la volupté du paysage, l’assimilant à la sensualité et l’érotisme. La seconde partie est donc liée à une belle rencontre, transportant l’héroïne vers des sensations inopinées, imprévisibles. Comme le signale Charline Bourgeois-Tacquet, « le film s’ouvre sur une scène très vive avec la propriétaire et se conclut avec une scène très calme entre Valeria et Anaïs. Ce sont vraiment les deux pôles contraires » (Le quotidien du cinéma).

En termes de références, la réalisatrice et Noé Bach se sont arrêtés sur trois films dont la photographie est d’Eric Gautier : « Ceux qui m’aiment prendront le train » de Patrice Chéreau, « Comment je me suis disputé…(ma vie sexuelle) » d’Arnaud Desplechin et « Irma Vep » d’Olivier Assayas, pour, comme l’explique le directeur de la photographie, « cette manière de raconter le dialogue par le corps, par les mouvements, la mise en scène » (AFC). Il cite aussi certaines comédies américaines des années 40, ou encore « Le sauvage » de Jean-Paul Rappeneau où la caméra accompagne le dynamisme et la vigueur de Catherine Deneuve.

Quant à la séquence de fin dans le bar d’hôtel où Emilie et Anaïs se retrouvent, la cinéaste a pensé à « Baisers volés » de François Truffaut, où le personnage de Delphine Seyrig est alarmé à l’idée de vivre passionnément une liaison avec Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud), qui a vingt ans de moins qu’elle. Peut-on bouleverser la stabilité et l’harmonie d’une vie ? La liberté du désir prend-elle systématiquement le pas sur la raison ? Le cœur est-il maître de tout ?

 

 

Infos AFC de Noé Bach :

  • Tourné en Alexa Mini (pour son ergonomie)
  • Tourné en anamorphique, avec une série Hawk V-Lite et un zoom sphérique 28-76 mm Angénieux
  • Machinerie : mélange de dolly (Pee Wee 4) et d’épaule

 

 

Réalisatrice : Charline Bourgeois-Tacquet

Directeur de la photographie : Noé Bach

Chef monteur : Chantal Hymans

Chef décoratrice : Pascale Consigny

Ingénieur du son : Mathieu Villien

Production : Les films Pelléas, Année Zéro

Distributeur France : Haut et Court

Actrices et Acteurs : Anaïs Demoustier, Valeria Bruni-Tedeschi, Denis Podalydès, Jean-Charles Clichet, Xavier Guelfi, Christophe Montenez, Anne Canovas, Bruno Todeschini