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LES DOUZE TRIBUS D’HATTIE D’Ayana Mhatis

« Les douze tribus d’Hattie » est le premier roman écrit par l’américaine Ayana Mathis. Au fil de dix chapitres dévoilant chacun l’influence d’une mère, Hattie, sur l’existence de ses onze enfants et de sa petite-fille, l’écrivaine nous raconte la destinée d’une famille noire américaine de 1923 à 1980.

Le roman débute en 1925, à Philadelphie. Hattie, une jeune fille noire de 17 ans mariée à August, tente désespérément de sauver ses deux premiers bébés, des jumeaux, d’une pneumonie qui va hélas rapidement les emporter, faute d’une aide médicale qui aurait peut-être pu les sauver. Ce premier chapitre est bouleversant. L’écriture d’Ayana Mathis y est cinglante, déchirante. En quelques pages nous ressentons l’immense douleur d’Hattie qui déjà si jeune, va perdre toute la fantaisie de son bel âge. Une apparente sècheresse des sentiments et une certaine austérité vont alors envahir cette mère que nous redécouvrirons une vingtaine d’années plus tard, au travers des sentiments exacerbés de ses autres enfants.

Chaque chapitre nous fait découvrir un ou deux personnages de cette grande tribu, à différents moments de la vie d’Hattie, puisque le roman se finit lorsque cette mère nourricière a plus de 70 ans. C’est ainsi que se révèlent Floyd, trompettiste homosexuel déambulant dans différentes villes du Sud ; Six, l’étrange prédicateur ; Ruthie, le fruit de son histoire d’amour avec un autre homme ; Ella, le bébé que, dans une souffrance immense, elle donnera à sa sœur pour qu’il ne manque de rien……

Ayana Mathis confie avoir commencé à écrire ce livre comme un recueil de nouvelles. Elle s’est alors aperçue que toutes ces histoires avaient un lien et qu’un roman était en train d’éclore. Nous apprenons dès le premier chapitre qu’Hattie, son héroïne, a fuit l’Etat ségrégationniste de Géorgie avec sa mère et ses sœurs en 1923, suite à l’assassinat de son père par des Blancs. La romancière témoigne ici de l’importante migration du Sud vers le Nord des Etats-Unis qui a eu lieu dans les années 20, fuyant ainsi l’omniprésence de ce racisme corrosif et destructeur que subissaient les hommes et les femmes de couleur noire. Sa propre grand-mère a déserté la Géorgie pour migrer vers le Nord et Ayana a grandi dans les quartiers nord de Philadelphie. Elle raconte que sa grand-mère, qui avait eu beaucoup d’enfants, se réfugiait dans un silence qui empêchait tout discernement de la personne qu’elle était, au plus profond d’elle-même. Elle ne connaissait pas vraiment cette femme dont elle était pourtant proche. Même si Hattie et sa grand-mère ont des personnalités différentes, Ayana Mathis a construit un personnage qui aurait pu saisir le caractère et l’âme de son aïeule : « c’est comme si moi ou qui que ce soit avait été capable de parler à ma grand-mère et de comprendre qui elle était. Je pense qu’Hattie est une tentative d’imaginer ma grand-mère à ma façon. »

Hattie n’est absolument pas une femme modèle. Elle est coriace mais reste inaccessible, glaciale même. Ses enfants en sont les tristes témoins et son mari, frivole et joueur, est inapte à gérer cette grande tribu de neuf enfants. Elle assure seule le maintien de la famille, avec toutes les difficultés que cela comporte. Les réjouissances de la vie l’ont quittée lorsque ses deux petits sont morts. Elle ne s’accordera qu’une échappée belle, de courte durée, mais elle choisira d’assumer son rôle de mère jusqu’au bout.

L’auteure désirait « créer une héroïne certes très forte, mais qui ne présentait pas les stéréotypes habituels d’une personne forte, qui ne fait pas d’erreurs, qui ne se met pas en colère (…) ». Et c’est à travers les épreuves de chacun de ses enfants (chaque chapitre comportant le prénom d’un ou de deux d’entre eux à des époques différentes) que nous découvrons des épisodes de la vie d’Hattie, et l’influence souvent néfaste que cette femme a eu sur ses enfants. Nous ressentons avec émotion à quel point ces cinq filles et ces quatre garçons ont été brisés par la dureté de leur mère, et combien la frontière entre l’amour et la haine est friable. Mais ce sont aussi les sempiternelles difficultés du quotidien et le combat pour la survie de la tribu qui sont mis en exergue par la romancière. Et tout cela, c’est Hattie qui l’affronte inlassablement, malgré l’usure et la fatigue. Seulement donner de l’amour lui est difficile. Et se réfugier auprès de Dieu lui est intolérable.

Ayana Mathis livre un roman puissant et émouvant qui nous fait chavirer dans la vie de cette famille noire américaine jusque dans les années 80. Elle effleure avec émotion le combat livré par tant de personnes ayant migré vers le nord des Etats-Unis pour une vie meilleure. Pour son héroïne ce fut une lutte de tous les instants. Mais c’est une lueur d’espoir qui se profile au terme de cette bataille grâce à la présence de Sala, la petite-fille d’Hattie. C’est encore une grand-mère combattive qui décide de s’occuper et de protéger ce douzième enfant de la tribu. Avec des gestes de tendresse...

Auteur : Mathis Ayana ; Traducteur : François Happe ; Genre : Romans et nouvelles – étranger ; Editeur : Gallmeister, Paris, France ; Collection : Americana ; Prix : 23.40 € ; Sorti le : 02/01/2014