Les intranquilles De Joaquim Lafosse (1/2)

Vous devez accepter les cookies pour accéder à ce contenu vidéo.

Joaquim Lafosse évoque dans son nouveau long métrage des souvenirs très personnels, en nous plongeant dans l’univers d’une famille bouleversée par la bipolarité du père.

Le propre père du cinéaste était atteint de cette maladie maniaco-dépressive qui influe inexorablement sur tout l’entourage. Et ce qui importait essentiellement pour Joaquim Lafosse lors de l’écriture, ce n’était pas la maladie elle-même, mais plutôt les incidences qui se répercutent sur le noyau familial, sur le cercle proche de la personne malade. Car inévitablement la déviance du père implique une autre déviance chez les personnes qui vivent auprès de lui au quotidien. La maladie les atteint aussi, d’une autre manière.

Dans « Le quotidien du cinéma », Joaquim Lafosse témoigne à propos de son film : « pour la première fois j’y raconte quelque chose qui est proche de mon vécu. (…) Il m’a fallu du temps pour arriver à être ému par les difficultés de mon père. Il m’a fallu du temps pour comprendre une phrase qui a fondé l’écriture de ce film. C’est une phrase que m’a dite ma mère quand j’avais le même âge qu’Amine dans le film. Elle m’a dit : « on va se séparer avec ton père. Je l’aime encore, mais la maladie, c’est trop dur. » (…) Quand on est un enfant qui grandit avec un père bipolaire, avec une grand-mère qui a été bipolaire, on est souvent très vite effrayé par la question de l’hérédité. »

Il est donc bien ici question d’amour, d’une promesse amoureuse chamboulée par la réalité des troubles psychiques de l’homme aimé.

Le film s’ouvre sur Leïla, la mère, bronzant sur une crique sous un soleil chaleureux, tandis que Damien et leur fils Amine profitent de la baignade en pleine mer, où ils se sont arrêtés avec leur bateau. Ce sont des vacances idylliques. Mais un évènement annonciateur nous interpelle : « Damien veut rentrer à la nage et confie naturellement à son fils d’à peine une dizaine d’années la charge de rentrer seul avec le bateau pour rejoindre sa mère. La tension est tangible, mais tout se passe bien, même si on pressent chez Leïla une certaine inquiétude lorsque le soleil commence à se coucher et que Damien n’est pas encore arrivé. Mais cela nous est malgré tout montré comme une normalité au sein de cette famille aimante. C’est alors que nous découvrons plus amplement une certaine suractivité, hyperactivité chez Damien. Il ne s’arrête jamais, tout est prétexte à bouger, foncer… Et le leitmotiv que nous allons entendre maintes et maintes fois pendant le film dans les supplications de Leïla se résume à ces trois mots : « Va te reposer ». Car Damien ne dort plus. Nous découvrons alors, par l’arrivée de son galeriste qui leur rend visite, que Damien est peintre. Son ami lui non plus ne peut le persuader de rien. L’excitation et l’euphorie de Damien sont indomptables. Et cette première phase du film finit par un passage au département psychiatrique du coin, que l’on ne voit pas. Phase suivante : saut dans le temps ; la petite famille s’installe dans une nouvelle maison. Nous découvrons alors l’atelier de peinture de Damien, antre de sa frénésie créatrice, mais aussi l’atelier de Leïla, qui a une activité de restauratrice de vieux meubles.

Le père de Joaquim Lafosse était photographe. Mais sachant que Damien Bonnard avait étudié les Beaux-Arts, le cinéaste a choisi de changer le métier artistique du personnage pour en faire un peintre, ce qu’il trouvait de surcroît bien plus cinématographique. Car c’est par le biais de la peinture que Damien enracine ses propres angoisses, cette anxiété profonde qui menace à tout va cette famille si touchante.

Préparant sa prochaine exposition, le comportement de Damien est de plus en plus instable, incohérent. L’homme est en transe, en état d’exaltation permanent. Leïla et Amine n’arrivent plus à le calmer, ni à le persuader d’avaler ses médicaments. Le cinéaste nous fait percevoir la personnalité d’un artiste qui fait naître son génie créatif au travers d’hostilités, d’une lutte sans fin. Cette phase créative, d’excitation extrême, passe de l’irritabilité du personnage à une euphorie incontrôlable. Damien est imprévisible, contraignant sa famille à subir les affres et tourments qui l’ensorcèlent. Les séquences où il pratique son art sont exceptionnelles. Nous sommes en immersion totale dans la créativité de l’artiste tourmenté. Le geste est à son paroxysme, exacerbé au point d’atteindre une intensité folle et enragée. Le comédien Damien Bonnard s’est intensément préparé à ce tournage. Tout d’abord au contact d’un psychiatre de l’hôpital Sainte Anne afin de saisir la complexité de la bipolarité, d’en appréhender le mécanisme, les dérèglements de l’humeur, l’alternance entre la phase dépressive et la phase euphorique, l’impact des médicaments… Il a de surcroît entrepris une psychanalyse afin d’en extraire un trait d’union avec le personnage qu’il joue. Il a vu des documentaires de Nicolas Philibert sur le sujet, lu des livres comme « L’intranquille » de Gérard Garouste (lui-même atteint par la maladie). Et travaillé avec un boxeur : « il fallait que je trouve des moments de violence dans le film et surtout parvenir à aller dans deux zones, une zone lumineuse et une très sombre. (…) J’ai finalement travaillé ces aspects là avec un boxeur. (…) Ce qui m’a aidé pour le film, c’est que j’ai compris que pour être violent avec l’autre il faut l’être avec soi. J’y ai trouvé la violence dont j’avais besoin dans certaines scènes. » (Madame fait son cinéma). Puis il y a les toiles de Piet Raemdonck, peintre belge qui a créé les peintures du film, mais en complémentarité avec Damien Bonnard : « On a échangé ensemble sur le processus créatif de ses peintures. Il fallait soit que je termine ses toiles pendant qu’on tournait, ou à l’inverse que j’en commence pour qu’il les termine. » (Bulles de culture). Piet Raemdonck a accepté de « transporter » son propre atelier sur le décor du film, tourné au Luxembourg ! Le lieu devenait réellement vivant, authentique. L’artiste belge et Damien Bonnard y travaillaient souvent lorsqu’aucune scène n’y étaient tournées. Et le comédien s’y rendait même seul, en soirée ou durant le week-end. L’atelier était devenu un véritable lieu de création, où étaient d’ailleurs parsemés certains objets appartenant à Damien Bonnard, en lien avec la personnalité du personnage qu’il incarne. En terme de lumière dans l’atelier, le directeur de la photographie Jean-François Hensgens a essentiellement utilisé la lumière naturelle, une lumière provenant de l’extérieur mais malgré tout fortement contrastée puisque pas mal d’ouvertures d’un côté, et quelques-unes de l’autre. Cette situation ne permettait pas d’installer des éclairages sur pieds. La réflexion de la lumière était une source supplémentaire de complexité quant aux sources lumineuses utilisées. Le directeur de la photo explique : « (…) ce sont des plans qui se fabriquent de manière très libre. Ca s’écrit quand ça se tourne, c’est pas du tout écrit en répétition, et même ça évolue. L’idée pour lui (Joaquim Lafosse) est d’aller vers le plan séquence, d’emmener le plan le plus loin possible mais sans forcément savoir à l’avance où est ce plus loin. Et puis une fois qu’il est satisfait d’une prise, on va reprendre le plan séquence et lui donner peut-être un autre début ou une autre fin, ce qui va donner des points de montage, mais en vrai c’est toujours un plan séquence qui pourrait tenir sur la longueur, on l’emmène à un point où il doit tenir sur la longueur et il pourrait être utilisé comme tel. Très souvent lui et Marie-Hélène Dozo, la monteuse, les déstructurent et c’est très bien comme ça. Mais ça complexifie pas mal les choses pour la photo » (AFC).

 

 

 

Réalisation : Joaquim Lafosse / Scénario : Juliette Goudot, Anne-Lise Morin, François Pirot, Chloé Léonil, Pablo Guarise, Lou Du Pontavic / Interprétation : Leïla Bekhti, Damien Bonnard, Gabriel Merz Chammah, Patrick Descamps, Jules Waringo, Alexandre Gavras / Direction de la photographie : Jean-François Hensgens / Montage : Marie-Hélène Dozo / Son : François Dumont / Décor : Anna Falguères / Production : Stenola Production / Distribution internationale : Luxbox / Distribution France : Les films du losange

 

Acceptez-vous l'utilisation de cookies sur notre site ?

Nous utilisons des cookies pour améliorer votre expérience de navigation sur notre site. Certains de ces cookies sont essentiels au fonctionnement du site et ne peuvent pas être désactivés. D'autres cookies nous aident à comprendre comment vous utilisez notre site et à vous proposer du contenu pertinent.

Les cookies essentiels sont nécessaires au fonctionnement du site et ne peuvent pas être désactivés dans nos systèmes. Ils sont généralement établis en réponse à des actions que vous effectuez et qui constituent une demande de services, telles que la définition de vos préférences en matière de confidentialité, la connexion ou le remplissage de formulaires. Vous pouvez configurer votre navigateur pour bloquer ces cookies, mais certaines parties du site ne fonctionneront alors pas correctement.

Les cookies non essentiels tiers tels que YouTube, Dailymotion et Vimeo pour intégrer du contenu multimédia sur notre site. En acceptant ces cookies, vous pourrez visualiser les vidéos intégrées directement sur notre site. D'autres tels que ceux de Google Analytics, pour collecter des informations sur la manière dont vous utilisez notre site afin d'améliorer son fonctionnement et de personnaliser votre expérience. Ces cookies peuvent suivre votre comportement sur notre site et d'autres sites, ce qui nous permet de vous montrer des publicités basées sur vos intérêts. Ils peuvent également être utilisés par des fournisseurs de médias sociaux tels que Facebook ou Twitter pour vous montrer des publicités ciblées sur d'autres sites.

Vous pouvez modifier vos préférences en matière de cookies à tout moment en cliquant sur le lien "Paramètres des cookies" dans le pied de page. Pour plus d'informations sur les cookies que nous utilisons, veuillez consulter notre politique de confidentialité.


Notice: Undefined index: acceptcookie in /home/hzgr7948/public_html/interne/website/elements/footer.php on line 142