En poursuivant votre navigation, vous acceptez l’utilisation de cookies à des fins statistiques.

En savoir plus

Tre Piani De Nanni Moretti 1/2

« Tre piani » est l’adaptation d’un roman israélien d’Eshkol Nevo, « Trois étages », qui se déroule à l’origine à Tel Aviv. Nanni Moretti l’a transposé à Rome en bouleversant l’ossature originale du livre.

C’est la première fois que le cinéaste ne se base pas sur un scénario original. Passionné par la lecture de ce roman comportant trois histoires différentes, Nanni Moretti en a modifié la structure en imaginant certains liens entre différents personnages évoluant dans les trois histoires originelles. Il désirait de surcroît entremêler ces récits sans mettre en exergue un rôle dominant.

« Tre piani » nous raconte, sur une dizaine d’années où de longues ellipses nous permettent d’appréhender chaque nouvelle tranche de vie des protagonistes, la destinée de trois familles logeant sur trois étages d’un même immeuble romain. Une quatrième famille aura aussi son importance en ce sens qu’elle sera la cause de bouleversements désorganisant l’un des trois autres foyers.

Trois couples sont au centre de ce film. Tout d’abord nous avons Sara (Elena Lietti) et Lucio (Riccardo Scamarcio) qui ont une petite fille de sept ans Francesca. Cette famille va se déchirer à la suite de la courte disparition de leur fille, qui a été confiée au voisin âgé Renato (Paolo Graziosi), habitant le même palier et perdant un peu « la boule ». Lucio est convaincu que dans ce laps de temps, le vieux monsieur a abusé de son enfant. Puis il y a Monica (Alba Rohrwacher) et Giorgio (Adriano Giannini), ou devrait-on dire l’esseulée Monica. Dès le début du film, cette femme enceinte va partir accoucher seule de son premier bébé, Béatrice. Son mari part travailler loin, longtemps, et est donc complètement absent de sa vie. La seule personne qui pourrait l’entourer est sa mère qui est hospitalisée pour une maladie psychiatrique héréditaire, que Monica redoute de développer. Enfin, le troisième couple est composé de Dora (Margherita Buy) et Vittorio (Nanni Moretti), habitant avec leur grand fils Andrea (Alessandro Sperduti). Ils sont magistrats. Mais la première scène du film, percutante, va se révéler être le début de multiples bouleversements au sein de cette famille. Alors que Monica part accoucher au milieu de la nuit et sort de son immeuble, une voiture arrive à une allure insensée, renverse et tue une passante, avant de foncer dans la verrerie du rez-de-chaussée de cette résidence de trois étages. Le conducteur est Andréa.

Tous ces personnages vont devoir faire face à de douloureuses réflexions morales, mettant à mal un certain enracinement existentiel où chacun doit combattre ses tourments, remettant en question sa vision exclusive des choses. De profonds malaises surgissent alors, se répandant comme une substance toxique qui vient secouer la relativité d’un équilibre bien artificiel. Les caractères de certains surgissent avec fracas. Comme le juge Vittorio qui se révèle être une personne intransigeante et inflexible, rejetant son fils avec effroi et exigeant de son épouse qu’elle rompt les liens avec leur enfant unique. Il asphyxie à l’extrême la cellule familiale. Lucio, lui, oppresse sa famille mais de manière opposée. Il est tellement surprotecteur qu’il détruit à petit feu les liens qui les unissent, en développant l’obsession non fondée que sa fille a subi des abus sexuels. Quant au troisième mari, Giorgio, il est juste absent. Ce qui provoque une solitude étouffante pour Monica qui aurait juste besoin de chaleur humaine, d’une présence qui lui permette de respirer à nouveau. Comme nous pouvons le constater, la gente masculine est malmenée, incarcérée dans son opiniâtreté. Dans « Spettacolo sky », Nanni Moretti explique : « Je trouve que dans ce film les personnages masculins sont un peu cloués sur eux-mêmes. (…) Je dirais qu’ils sont « encastrés » dans leurs obsessions (comme le personnage de Lucio), leur rigidité (personnage que je joue) ou leur aisance (personnage de Giorgio). Chacun d’eux est convaincu qu’il a raison et pour cette raison ils sont immobiles et cloués, ils ne bougent pas. Au contraire, les personnages féminins ont une autre propension envers les autres et essaient de réparer et de dissoudre les conflits. Vittorio est monolithique et terrible dans sa rigueur, si terrible qu’il est là pour les deux tiers de l’histoire, car il aurait été très difficile et compliqué de le poursuivre jusqu’à la fin du film. » Nous observons donc une défaite patente du masculin, tous ces hommes étant finalement désuets, incapables de rendre heureux ceux qui leur sont le plus chers. Nulle félicité dans ces relations qui manquent totalement d’écoute. Qui plus est, ce ne sont pas uniquement les hommes en tant que maris qui sont décevants, mais aussi en tant que pères. Cette paternité est mise à mal avec tout ce que cela peut engendrer de souffrances. Que ce soit par le rejet d’Andrea par son père ; la séparation des parents de Francesca suite aux obsessions de Lucio et à un adultère avec une très jeune femme, Charlotte, qui n’est autre que la petite fille de Renato ; ou encore l’absence du père de Beatrice qui vit en vase clos avec sa maman. Force est de constater que ce sont les femmes qui sont détentrices d’une possibilité d’évolution dans ces relations jusqu’ici figées. Elles cherchent la réconciliation là où les dissentiments ont pris le dessus, cherchant tout simplement une certaine harmonie dans ces vies désaccordées. C’est juste de l’amour qu’elles veulent transmettre et partager. Et cela quels que soient leur âge, leur caractère, leurs situations professionnelle et familiale. Car ce qui les relie jusqu’à maintenant, c’est l’incommunicabilité, et donc une certaine forme de solitude, de manque de bienveillance, ce qui est moralement et psychologiquement insoutenable. Ces femmes vont évoluer tout au long du récit, s’évertuant à développer ces touches d’humanité, à transformer cette vie dans laquelle elles se sont engoncées.

 

 

 

Réalisation : Nanni Moretti / Scénario : Nanni Moretti, Federica Pontremoli, Valia Santella / Comédiens : Margherita Buy (Dora), Nanni Moretti (Vittorio), Alessandro Sperduti (Andrea), Alba Rohrwacher (Monica), Adriano Giannini (Giorgio), Elena Lietti (Sara), Riccardo Scamarcio (Lucio), Denise Tantucci (Charlotte), Paolo Graziosi (Renato), Anna Bonaiuto (Giovanna), Stefano Dionisi (Roberto) / Direction de la photographie : Michele d’Attanasio / Montage : Clelio Benevento / Décor : Paola Bizzarri / Son : Alessandro Zanon / Production : Sacher Film, Fandango, Rai Cinema, Le Pacte / Distribution : The Match Factory, Le Pacte (France)