La Mouette D’Anton Tchekhov Mise en scène de Stéphane Braunschweig Au Théâtre de l’Odéon du 7 novembre 2024 au 22 décembre 2024

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Stéphane Braunschweig dévoile sa nouvelle création au sein du Théâtre de l’Odéon, lieu emblématique dont il assura la direction durant huit années, avant de décider de passer le flambeau à Julien Gosselin il y a quelques mois de cela. Il nous présente « La Mouette », d’Anton Tchekhov, qu’il a déjà eu l’occasion de mettre en scène il y a une vingtaine d’années.

Stéphane Braunschweig est un amoureux de Tchekhov, dont c’est la quatrième mise en scène à laquelle il se consacre. Il explique son attachement à l’auteur : « Tchekhov est vraiment l’un des auteurs dont je me sens le plus proche. Notamment parce qu’il porte un regard assez clinique sur ses personnages. On dit qu’il ne les juge pas. En effet il ne pose pas de condamnations morales sur eux, il cherche toujours à les comprendre. Et pourtant il ne les épargne pas (…). Et puis il s’agit d’un théâtre profondément existentiel qui parle de la question de l’espoir, de la jeunesse, de la façon dont on peut vivre le présent » (La terrasse).

Cette nouvelle mise en scène place en premier lieu le spectateur devant un immense rideau de fer beige clair où seule une porte fermée nous interpelle. L’ensemble est froid et laisse une large bande, très peu profonde, pour que des individus puissent s’y mouvoir. C’est pourtant dans ce petit espace, sans la moindre perspective, que nous allons faire connaissance avec plusieurs personnages, qui s’introduisent soit par la salle où nous nous trouvons, en la traversant et en montant sur scène par des escaliers, soit par les coulisses du devant de la scène. Il n’y a donc d’abord aucune information visuelle par l’entremise du décor. Arrivent alors Macha (Boutaïna El Fekkak) et l’instituteur Medvendenko (Jean-Baptiste Anoumon) qui en est amoureux (seulement Macha aime Kostia). Puis entrent sur le devant de la scène le jeune Konstantin Treplev, surnommé Kostia (Jules Sagot), accompagné de son oncle Sorine (Jean-Philippe Vidal), à la retraite dans cette grande propriété où il s’ennuie. Nous apprenons dès lors que ce domaine est à la campagne, près d’un lac, et que Kostia attend l’arrivée de la jeune comédienne Nina, dont il est amoureux, pour que la pièce de théâtre qu’il a écrite soit jouée, puisqu’elle en est l’héroïne. Il appréhende le jugement de sa mère Arkadina, comédienne reconnue, femme égocentrée qui arrive elle aussi sur le plateau accompagnée de son amant Trigorine, un écrivain célèbre. Mais ce dernier finira par courtiser Nina… Apparaîtront aussi le Docteur Dorn (Sharif Andoura), Paulina et Chamraïev (les parents de Macha).

Tous ces personnages se retrouvent sur le devant du plateau, prêts à voir la pièce de Kostia Treplev qui veut présenter « des formes nouvelles », où la jeunesse russe pourra se retrouver.

Nina finit par arriver. Le spectacle peut commencer. Et le rideau se lève enfin, sur un paysage désenchanté, qui se révèle être le décor de la pièce de Treplev. C’est une atmosphère de désolation qui s’offre à nous, où la scène est sombre, desséchée, en ruines, habitée par une carcasse de bateau, des pierres… Le monde qui s’ouvre à nous, et aux hôtes du domaine, est délabré. Seules les mouettes, dans leur envol, procurent des nuances blanches et éclatantes, en contraste avec la dévastation environnante. Les spectateurs de la pièce de Kostia sont invités à s’allonger, pour découvrir le monologue de Nina qui, au centre de la scène, vêtue d’une sorte de combinaison d’un blanc clinique a l’instar de celles utilisées dans des zones polluées, s’élève vers les cintres de l’espace scénique. Elle prend son envol et déclame haut et fort un texte abordant l’extinction des espèces, l’anéantissement de la vie sur cette terre, la détresse de l’humain…

L’écriture du jeune dramaturge tend à secouer les spectateurs, ses aînés, à provoquer un choc. Et afin d’accentuer l’alerte de Kostia sur cet effondrement, le metteur en scène a interverti le processus du « théâtre dans le théâtre » : « J’ai eu envie de partir de cette vision de Treplev, comme si c’était dans ce cadre-là que l’on jouait toute la pièce de Tchekhov. J’ai procédé, mentalement et scénographiquement, à une sorte d’inversion. Au lieu de jouer la petite pièce de Treplev au sein de la grande pièce de Tchekhov, je me suis dit que l’on pourrait jouer la pièce de Tchekhov dans le décor imaginé par Treplev – pour que, au lieu d’être oubliée ou refoulée, cette vision de Treplev reste présente, en rémanence » (Entretien dans le Livret édité par le Théâtre de l’Europe – Odéon).

Le questionnement de la jeune génération est mis en exergue et fait amèrement écho aux désastres environnementaux, aux enjeux écologiques auxquels nous faisons face. Face à leurs aînés, et donc à ces générations qui leur ont laissé cet héritage, Kostia et Nina luttent, par l’intermédiaire de l’art, pour incarner cette jeunesse d’esprit qui n’a pas encore perdu tout espoir.

Stéphane Braunschweig, en 2001, avait déjà mis en scène « La Mouette » au Théâtre National de Strasbourg, où il avait « beaucoup travaillé sur la question d’une communauté soudée par l’amour du théâtre » (La Terrasse). C’est donc avec une perception distincte, même si « cette réflexion sur la nécessité de l’art est toujours présente », qu’il a décidé de la remonter en 2024, pour poser un regard neuf, et de nouvelles interrogations ancrées dans notre époque : « Il s’agit plutôt de faire porter l’interrogation sur la jeunesse, confrontée à une génération qui, a l’instar d’Arkadina, la mère de Treplev, « ne pense jamais ni à la vieillesse ni à la mort » et se pose comme règle de « ne jamais regarder dans le futur ». La pièce de Treplev pose la question de ce qu’est avoir 20 ans dans un monde où l’avenir apparaît si noir » (Livret Odéon). Il évoque de surcroît dans un entretien à Radio France : « Quand je remonte « La Mouette » aujourd’hui, j’ai une vision très différente des relations homme/femme qui sont dans la pièce par exemple. On peut les relire complètement différemment, et les relire en prenant aussi le point de vue des femmes ». De plus, Stéphane Braunschweig a tenu à insérer le tutoiement pour contemporanéiser les relations entre ces personnages qui s’aiment, se rejettent, s’étreignent… Toute cette relecture de la pièce s’est construite au fil des répétitions, grâce au travail des comédiens qui amènent leur émotivité, leur ressenti, leurs préoccupations, pour nourrir la vision de leurs personnages.

Anton Tchekhov amène une dimension symbolique en titrant sa pièce « La Mouette », bel oiseau volant près du lac où les personnages évoluent. Nina s’y identifie : « Je suis très attirée par le lac comme si j’étais une mouette » (Acte I). Elle est, comme la mouette, éprise d’une liberté à laquelle elle tentera d’accéder. Mais Konstantin tue la mouette et l’écrivain Trigorine désire qu’on l’empaille. Cependant Nina quitte cette campagne pour tenter sa chance ailleurs, là où elle désire devenir une bonne actrice. Le choix de cet oiseau blanc, symbole de pureté, nous ramène à son désir de liberté, d’envol. De surcroît, « le nom qui le désigne en russe suggère les idées d’espoir fragile, d’attente de l’avenir, de besoin d’illusion, avec risque de déception, de désillusion » (Comptoir littéraire).

Ce qui captive Stéphane Braunschweig, c’est que la pièce de Tchekhov s’intéresse aux comédiens, aux écrivains, au théâtre, aux « nouvelles formes » d’écriture, si utiles pour questionner la fonction même du théâtre à travers les circonstances maussades et angoissantes du monde actuel, tant au niveau social qu’environnemental, ou encore politique. La vision de la jeunesse et ses interrogations sur l’état du monde, hérité des générations précédentes, habitent cette nouvelle mise en scène qui nous propose une réflexion sur l’essence et l’existence, sur les possibles dans un monde où l’aléatoire et l’hypothétique dominent, où le désenchantement peut nous meurtrir.

Ce nouveau regard de Stéphane Braunschweig sur « La Mouette » délivre à la pièce une dimension contemporaine, en lien avec nos sociétés, à travers une scénographie propice à l’atmosphère désenchantée qui y règne.

 

 

Mise en scène et scénographie : Stéphane Braunschweig / Traduction : André Markowicz et Françoise Morvan / Collaboration artistique : Anne-Françoise Benhamou / Collaboration à la scénographie : Alexandre de Dardel / Costumes : Thibault Vancraenenbroeck / Lumière : Marion Hewlett / Son : Xavier Jacquot / Maquillage, coiffures : Emilie Vuez / Assistant à la mise en scène : Jean Massé / Réalisation du décor : Atelier de construction de l’Odéon-Théâtre de l’Europe / Avec : Sharif Andoura (Dorn), Jean-Baptiste Anoumon (Medvedenko), Boutaïna El Fekkak (Macha), Denis Eyriey (Trigorine), Thierry Paret (Chamraïev), Eve Pereur (Nina), Lamya Regragui Muzio (Paulina), Chloé Réjon (Arkadina), Jules Sagot (Treplev), Jean-Philippe Vidal (Sorine) / Créé le 7 novembre 2024 à l’Odéon – Théâtre de l’Europe

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