L’Institut du Monde Arabe nous permet de découvrir un peintre orientaliste français, Etienne Nasreddine Dinet, dont la dernière exposition à Paris eut lieu en 1930, une année après sa mort. La passion et l’engagement de l’artiste pour l’Algérie transparaissent intensément, ardemment, à travers les quelques 80 œuvres qui jalonnent le parcours mis en œuvre par le Commissaire d’exposition Mario Choueiry.
Etienne Dinet est né en 1861 à Paris, durant le Second Empire, au sein d’une famille bourgeoise. Après l’obtention de son baccalauréat, il suit une formation académique à L’Ecole des Beaux-Arts de Paris, mais aussi les cours de l’Académie Julian. Il vénère la peinture de Delacroix et celle de Rembrandt. L’artiste, lui, sera exposé pour la première fois en 1882 au Salon des Artistes français. Et c’est en 1888 /89 qu’il exposera chez le célèbre galeriste Georges Petit avec le « Groupe des XXXIII ».
Mais son grand coup de foudre émotionnel, il le vit en 1884 au cours d’un voyage en Algérie, pays qu’il découvre par hasard en suivant un ami dans le Sud algérien, à la lisière du Sahara. Il est absolument séduit par cette région magnifique où il retourne régulièrement. Biskra, Laghouat et Bou-Saâda sont des lieux dont il ne se lasse pas au point où, emporté par les paysages, la culture et le peuple algérien, il finit par prendre la décision de résider à Bou-Saâda à partir de 1904. Ce qui est d’autant plus singulier dans cette démarche, c’est qu’il élit domicile dans le quartier de la vieille ville, la medina, où il assimile cette culture qui le fascine, ainsi que la religion musulmane. Il prend part à la vie sociale de ses habitants, et pose un regard minutieux et attachant sur le peuple algérien, ce qui transparaît avec force dans ses peintures. Il faut dire qu’il s’est lié d’amitié, dès 1888, à un homme qui deviendra son grand ami, Sliman Ben Ibrahim. Cet essayiste renommé va l’accueillir au sein même de sa famille et lui permettre d’observer et de saisir la somptuosité des paysages qui les entourent, ainsi que ses habitants qui le touchent profondément. L’Algérie devient à ses yeux une terre d’accueil où il se sent désormais chez lui. Ce qui est étonnant, c’est qu’il délaisse Paris à une époque où des peintres issus de multiples nationalités vont, eux, prendre pour destination la capitale où tant d’artistes souhaitent s’installer pour créer, partager ces bouleversements artistiques novateurs et prolifiques. De surcroît, Etienne Dinet s’installe dans un pays colonisé par la France, mais préfère s’intégrer au peuple algérien, plutôt que de vivre auprès des colons. Son ami Sliman Ben Ibrahim lui permet de rencontrer de nombreux algériens et algériennes qu’il va prendre pour modèles. Car Etienne Dinet fait apparaître sur la toile ce que ses yeux voient, et non ce qu’un fantasme pourrait lui inspirer, comme nombre de peintres orientalistes. Il peint sur le vif, son regard se posant sur la nature ou des modèles vivants. Il est souvent qualifié de peintre réaliste, retranscrivant scrupuleusement de sa palette les étoffes, les bijoux, les innombrables couleurs nuancées par le soleil du sud algérien, mais aussi les postures des corps qui se livrent à son regard vif, les multiples traits des visages qu’il scrute, la végétation incandescente qui ne cesse de le happer… Il se qualifie lui-même de « peintre ethnologue », désirant retranscrire l’âme pénétrante de cette Algérie du sud qui le bouleverse, de cette civilisation fascinante. De nombreuses toiles nous montrent par exemple les femmes de la tribu des Ouled Naïls dont la beauté et les mœurs fascinaient le peintre. Les peintures de Dinet s’attachent à magnifier ces femmes maghrébines, mais nous pouvons tout de même émettre un doute sur le fait qu’elles ne soient pas fantasmées. Pour l’homme de foi qu’il est, et cela avec de plus en plus de profondeur, les tableaux peuvent nous interpeller par leur sensualité, par l’harmonie stylistique qui en ressort. C’est toute l’ambiguïté d’un homme qui citera à propos le poète persan Omar Khayyam : « Dieu me donne des yeux et ne m’en voudra pas de regarder ». En 1926 Dinet illustrera même, en collaboration avec Sliman Ben Ibrahim, le roman « Khadra danseuse Ouled Naïl ». Il y contestera l’image souvent ébréchée de ces « prêtresses de l’amour », ne voulant surtout pas les abaisser au rôle de femme objet qui leur est souvent attribué, mais désirant a contrario leur procurer une certaine compassion. Cependant, même si les toiles sont radieuses, leur représentation nous laisse interrogatrice.
Peu de paysages sont montrés dans cette exposition, mais ils restent superbes et touchants. Les enfants, eux, sont éblouissants dans les scènes du quotidien peintes avec chaleur. Mais il est surprenant que Dinet ne représente que rarement des scènes douloureuses où le chagrin, l’abattement ou encore la misère et la guerre se manifestent. Pourtant la vie dans le sud algérien n’est pas aussi idyllique que ce que l’artiste choisit de peindre. Aucune rebellion n’est alors tolérée par les colons qui réfrènent rudement la moindre insubordination. Nous ne ressentons donc à aucun moment les répercutions dues à la colonisation française. Ses choix picturaux se fixent essentiellement sur le peuple algérien, sa culture, ses traditions, et l’islam qui deviendra de plus en plus important dans sa vie spirituelle.
Cet homme de passion se voue inlassablement à sa région d’adoption. Mais il n’en est pas moins un citoyen engagé. En effet il n’hésite pas, lorsqu’il le juge utile, d’émettre des critiques acerbes. Il explique par exemple qu’il est « forcé de vivre au milieu de cette immonde pourriture coloniale ». Il n’hésitera pas non plus à se battre pour que Bou-Saâda devienne une administration civile, ce qui arrivera en 1912 alors que la commune était jusqu’ici assujettie à une administration militaire. De surcroît, Dinet est fortement troublé lorsqu’il apprend qu’au début de la Première Guerre Mondiale, des conscrits algériens sont mobilisés. Il va faire entendre sa voix afin que les multiples soldats algériens blessés puissent être rapatriés dans leur pays et pour que les rites musulmans pratiqués aux enterrements soient appliqués. De plus il dessinera lui-même le modèle des stèles funéraires des musulmans qui ont perdu la vie en combattant pour la France.
En 1913, Etienne Dinet se convertit à l’islam et prend comme nom Nasreddine (Nâsr ad-Dîn). Ce qui est étonnant, c’est que Dinet peint, aux mêmes périodes, autant de nus féminins que de tableaux pieux et religieux. Lorsque nous sommes face à ces différentes toiles, nous sommes surpris par ce qui peut naturellement paraître comme une divergence. Cependant un évènement viendra bouleverser tardivement cette diversité des représentations artistiques du peintre. En effet Dinet fera un pèlerinage à La Mecque (Hajj) en 1929 et décidera alors de se consacrer uniquement aux iconographies religieuses. Mais il mourra à Paris durant cette même année.
Cette exposition est passionnante pour plusieurs raisons. En premier lieu, Etienne Dinet est un peintre « orientaliste » dont les œuvres nous fascinent. La lumière du sud algérien s’inscrit avec magnificence dans ces paysages et ces scènes figuratives qui procurent une reconnaissance visuelle puissante. L’amour du peintre pour ce pays transperce ses œuvres. Il nous transmet sa passion pour l’Algérie, ses habitants et sa culture. Mais ce n’est pas tout. L’homme s’est aussi immergé sans aucune retenue dans cette culture orientale, dont il a appris la langue et adopté les traditions et la religion. Il a d’ailleurs illustré beaucoup d’écrits historiques, d’œuvres poétiques et légendaires, dont certains nous sont montrés au sein de l’exposition, comme les illustrations de l’épopée mythique « Le roman d’Antar », œuvre majestueuse de la littérature arabe. C’est un réel engagement au service d’un peuple auquel Etienne Dinet s’est intimement et artistiquement voué. Mais il restera toujours en lien avec la France, fidèle à ses amis et à sa famille.
En 1929, le peintre meurt à Paris d’une crise cardiaque. Sa dépouille est alors déposée à la Mosquée de Paris où il est célébré, tant par les représentants de la France que par le gouverneur algérien. Sa conversion à l’islam est acceptée par son pays et par sa famille. Son corps sera ensuite transporté à Bou-Saâda, où des funérailles officielles auront lieu et où il sera enterré. Etienne Dinet y avait d’ailleurs préparé sa koubba (monument funéraire).
L’œuvre d’Etienne Dinet révèle un amour inconditionnel pour l’Algérie qui le considère comme un « maître de la peinture algérienne ». En 1993, le Musée National Nasr Eddine Dinet sera créé en plein centre de la medina de Bou-Saâda.
L’exposition qui lui est consacrée à l’Institut du Monde Arabe nous invite à partager ce désir de paix, de respect et de mémoire, envers ce beau pays qu’est l’Algérie, sans évidemment oublier le passé tragique et les répercutions néfastes du colonialisme.