Quand vient l’automne De François Ozon
Le réalisateur prolifique François Ozon nous présente son 23ème film, « Quand vient l’automne », dont les héroïnes sont deux femmes âgées, sœurs de cœur, dont la retraite paisible au sein d’un petit village bourguignon est tranquillement rythmée par une douce et sereine quotidienneté, du moins en apparence.
Le film s’ouvre sur le personnage de Michelle (Hélène Vincent), qui vit en toute quiétude dans une jolie maison campagnarde, occupant son temps à faire son jardin, aller à l’église, cuisiner, boire un café avec son amie Marie-Claude (Josiane Balasko), se promener dans les bois, lire… et à l’occasion conduire son amie à la prison, où Vincent (Pierre Lottin), le fils de Marie-Claude, est incarcéré pour des actes dont on ignore le fondement.
L’automne et ses couleurs chaudes envahissent l’écran. La Toussaint approche, moment tant attendu par Michelle puisque sa fille Valérie (Ludivine Sagnier) doit lui rendre visite pour lui laisser son petit-fils Lucas durant les vacances. Pour faire un bon repas à sa petite famille, Michelle part le matin même ramasser des champignons dans la forêt avec Marie-Claude, comme elles en ont l’habitude.
L’arrivée tardive de Valérie s’apparente à un ouragan. Dès qu’elle descend de la voiture, on ressent chez la jeune femme une rage envers sa mère, une colère qu’elle doit porter depuis bien longtemps. Alors que Lucas est immédiatement câlin avec sa grand-mère. Ces deux-là ont l’air de partager une belle complicité. Les tensions mère-fille sont flagrantes tout au long du repas. Seule Valérie va manger la fricassée de champignons que Michelle a cuisiné, le jeune Lucas disant ne pas les aimer, et Michelle n’ayant plus faim après tant de dissensions avec sa fille… Et le drame surgit. Valérie doit être emmenée d’urgence à l’hôpital pour une intoxication alimentaire. Elle en ressort indemne mais éclate de façon très violente, accusant sa mère soit d’avoir voulu la tuer, soit d’être trop négligente et donc indigne de confiance pour garder Lucas.
Est-ce un défaut d’attention sur la venimosité des champignons ? Est-ce un acte manqué, traduisant une volonté inconsciente de faire du mal à sa fille ? Même Michelle se pose des questions sur son état mental, alors qu’elle interroge son médecin. Mais son entourage amical et médical la rassure. Ce n’est qu’un accident qui arrive finalement assez fréquemment. Mais ce n’est pas tant l’empoisonnement de sa fille qui la perturbe, mais plutôt la perspective de ne plus jamais voir Lucas. Dès lors le trouble va peu à peu s’installer quant à la personnalité de cette charmante vieille dame, le film distillant au fur et à mesure des évènements une confusion délétère.
Le point de départ de l’écriture de ce film est dû à un souvenir d’enfance de François Ozon. Sa grand-tante, à laquelle il tenait beaucoup, avait ramassé des champignons pour les cuisiner aussitôt, afin de régaler ses convives lors d’un repas de famille, où les parents du réalisateur étaient présents. François Ozon n’était pas là, mais ses parents lui avaient conté ce qui s’était passé. Tout le monde fut malade, et quelques-uns durent même être hospitalisés. Sa grand-tante fut la seule qui échappa à cette intoxication, puisqu’elle n’avait pas mangé de champignons. Cet évènement causa une grande émotion chez ses parents mais le jeune François, de son côté, trouva ce récit formidable. Il s’était alors imaginé que sa grand-tante avait tenté de liquider tout le monde. Dans une interview à la RTBF, le cinéaste raconte s’être souvenu de cette histoire, et de s’être posé cette question : « Est-ce qu’à chaque fois qu’on cuisine des champignons pour quelqu’un, on n’a pas envie secrètement de s’en débarrasser ? (…) En tout cas il y a toujours ce risque. Je suis parti de cette idée avec cette grand-mère bien sous tous rapports, à qui on donnerait le bon dieu sans confession, qui fait une plâtrée de champignons pour sa fille avec qui elle a des relations très compliquées, un peu toxiques ».
Au fur et à mesure que le récit avance, le cinéaste parsème quelques informations, tout en usant de nombreuses ellipses qui poussent le spectateur à s’interroger sur l’ambiguïté des personnages, qui parfois sont équivoques. François Ozon a d’ailleurs écrit son scénario, avec Philippe Piazzo, en l’articulant comme un puzzle. A nous d’en assembler les différents fragments afin d’imaginer notre propre perception des différents protagonistes. Le réalisateur s’amuse avec les non-dits, avec tout ce qui paraît implicite dans les dialogues de chacun et qui perturbe notre vision. Ajouté à cela, le cinéaste coupe sa caméra à des moments cruciaux, bouleversant ainsi de manière elliptique des actes fondamentaux pour la juste compréhension de l’ensemble. A nous de donner un sens personnel, à partir d’inévidences qui brouillent la vérité ou les vérités. D’ailleurs Michelle, alors qu’elle pourrait quelquefois avoir des informations éventuellement dérangeantes pour son bien-être, s’arrange pour les éluder et vivre plus sereinement. Comme le dit François Ozon : « Je voulais faire sentir toute l’ambiguïté du besoin de Michelle de revoir son petit-fils. Rien n’est totalement clair ou volontaire dans ses actes. Il y a des circonstances, de l’accidentel, de l’immanence » (Senioractu). Marie-Claude, elle, n’a pas la résistance mentale de son amie. Elle a de surcroît une certaine probité que l’on ne perçoit pas spécialement chez Michelle. Elle se prend la réalité frontalement, sans pouvoir s’en accommoder, jusqu’à la ressentir physiquement. Elle finira par plonger dans la maladie, ce qui n’est pas fortuit.
Parmi toutes les interrogations qui germent dans notre esprit, il y a évidemment l’accident mortel (ou meurtre ?) de Valérie, la place de Vincent dans la vie de Michelle qui l’accueille à bras ouverts en l’engageant pour travailler, afin de l’aider à sa sortie de prison. Nous finissons aussi par apprendre la profession qu’exerçaient les deux amies, créant un lien indéfectible entre ces deux femmes qui vieillissent l’une pas loin de l’autre. Ce qui explique de surcroît les conséquences que cela a pu avoir sur Valérie.
Le personnage que joue Pierre Lottin, Vincent, est énigmatique. François Ozon le décrit ainsi : « Il est à la fois très beau et inquiétant, il amène d’emblée de l’ambiguïté, une forme de duplicité. Je le trouvais parfait pour incarner ce garçon séduisant et dangereux, cet écorché vif dont on se dit qu’il peut vriller à tout moment » (Radio France). Sa mère, Marie-Claude, confiera sur son lit d’hôpital à sa grande amie, que son fils veut toujours faire le bien autour de lui, seulement il a plutôt tendance à échouer. Marie-Claude culpabilise beaucoup de n’avoir pas su éviter cela. Michelle, elle, la rassure en lui disant que le plus important, c’est d’avoir voulu faire le bien. Nous voyons bien à quel point le point de vue de chacune manifeste insidieusement un parti pris moral. La frontière entre le bien et le mal habite le film, les personnages doivent faire face à des cas de conscience que chacun aborde différemment. De plus, François Ozon a décidé de faire apparaître physiquement à l’écran le fantôme de Valérie à sa mère. Le questionnement sur la culpabilité s’insère alors par cette présence qui jaillit prestement et dont le regard est profond.
Le cinéaste évoque le romancier Georges Simenon dans son interview à la RTBF : « J’ai beaucoup pensé à Simenon dans la description d’une petite ville, une atmosphère provinciale où tout paraît à peu près normal et paisible en apparence. Mais derrière les rideaux, il y a quelque chose qui se passe. Et puis j’aime bien dans les romans de Simenon aussi, le fait que l’intrigue policière, elle est là, mais elle est secondaire. Ce n’est pas ça qui l’intéresse, ce n’est pas la résolution. Ce qui l’intéresse, ce sont les rapports entre les personnages, la psychologie et puis la description des liens souvent très névrotiques, tordus » (RTBF). Ces liens, qui établissent des relations multiples, de nature hétéroclite, personnalisent chaque personnage, et cela sur fond de polar. Sophie Guillemin joue une gendarme perplexe, et viendra au domicile de Michelle, bien après la mort de Valérie, pour reposer quelques questions qui la taraudent. Mais elle va se retrouver en présence d’une « famille recomposée », heureuse d’être liée par un bien-être qu’ils souhaitent bien préserver.
Le film débute et se termine en automne, sous les magnifiques couleurs chamarrées du directeur de la photographie Jérôme Alméras, dans une nature omnicolore, où les champignons s’affilient à la vie mais aussi à la mort. La patente sérénité de cette belle saison est troublée par la mort, par l’ambiguïté des physionomies mentales des protagonistes. Ce n’est pas un hasard si François Ozon a choisi l’automne, qui est une « saison de métamorphoses », d’une splendeur bigarrée, aux couleurs chaudes et tranquillisantes. Michelle, elle, dans un mode allégorique, disparaîtra et fusionnera avec cette nature automnale.
François Ozon a choisi de filmer deux femmes d’un âge avancé, au passé commun, qui ont tant partagé que le lien paraît inébranlable. Elles partagent maintenant un apaisement au sein d’une nature magnifique, au rythme d’une vie adoucie. Mais qu’en est-il pour Valérie et Vincent ? Comme l’explique le cinéaste, « le passé de Michelle et de Marie-Claude est un caillou dans les chaussures de leurs enfants » (Radio France). Pourtant les réactions de chacun vont prendre des orientations bien dissemblables, au point de bouleverser notre point de vue. Les évènements et la singularité de chacun vont nous bousculer, avec étrangeté et parfois inquiétude. La raison humaine et la morale sont au cœur des interrogations du spectateur. « Quand vient l’automne » est une œuvre troublante, organique et psychologique, déséquilibrée, désordonnée.
Réalisation : François Ozon / Scénario : François Ozon, avec la collaboration de Philippe Piazzo / Photographie : Jérôme Alméras / Son : Brigitte Taillandier / Décors : Christelle Maisonneuve / Costumes : Pascaline Chavanne / Montage : Anita Roth / Musique : Evgueni et Sacha Galperine / Distribution : Hélène Vincent (Michelle), Josiane Balasko (Marie-Claude), Ludivine Sagnier (Valérie), Pierre Lottin (Vincent), Garlan Erlos (Lucas), Sophie Guillemin (Capitaine de police), Malik Zidi (Laurent) / Production : François Ozon / Société de production : FOZ / Société de Distribution : Diaphana Distribution / Sortie France : 9 septembre 2024