The plot against America

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« The plot against America », série éponyme du roman de Philip Roth sorti en 2004, saisit le téléspectateur par sa vision scrutatrice d’une Amérique qui sombre lentement dans le fascisme et l’antisémitisme.

La mini-série uchronique adaptée par David Simon et Ed Burns respecte l’essence même de la perception de l’auteur, dont l’origine de l’écriture fut son dissentiment face au gouvernement Bush qui représentait pour lui une source d’inquiétude et d’appréhension quant à la destinée de son pays. Philip Roth a donc réécrit la Grande Histoire, en partant de faits historiques réels, pour ensuite imaginer une tournure différente et créer des faits imaginaires permettant d’examiner minutieusement une alternative pleine d’effroi. 

Le scénariste David Simon avait déjà été interpellé afin d’adapter le roman de Philip Roth, lors de la présidence Obama. Il pensait alors que l’Amérique prenait une direction positive, avec des perspectives encourageantes pour son pays. Il a donc décliné la proposition. Quelques années plus tard, lorsque Trump fut élu à la présidence des États-Unis, le livre de Philip Roth s’est rappelé à son souvenir, comme une évidence. David Simon explique que le roman « présente une réalité alternative très intéressante de ce qui aurait pu arriver aux États-Unis si Roosevelt n’avait pas remporté sa troisième élection en 1940 et qu’à la place, c’était Lindbergh, un aviateur très populaire et courageux, mais antisémite et pro-allemand qui était devenu président. Ça a été un moment particulier dans l’histoire des États-Unis. Roosevelt a été très inquiet quand les Républicains ont nommé Lindbergh pour les représenter. À cette époque, il était le plus grand héros du pays. Il était charmant, sincère, et convoquait de nombreuses valeurs américaines positives. Au final, Lindbergh refusa de se présenter » (Biiinge.konbini). Mais dans « The Plot against America », qui débute en 1940, les primaires républicaines aboutissent à la candidature de la figure héroïque Charles Lindbergh (Ben Cole), dont la formule compendieuse convainc une majorité d’américains : « Lindbergh ou la guerre ». Franklin D. Roosevelt perd et le célèbre aviateur antisémite, à l’idéologie populiste, devient président. Et c’est à travers la vision d’une famille juive de Newark que le téléspectateur va scruter la descente aux enfers d’une Amérique qui s’enfonce dans les méandres de mesures de plus en plus discriminatoires et fascisantes. Alors qu’en Europe c’est la bérézina, nous suivons la vie ordinaire de Bess (Zoe Kazan) et Herman (Morgan Spector) Levin, de leurs deux garçons et de leur entourage. 

Nous découvrons petit à petit les habitants de ce quartier, cette communauté soudée qui vit tranquillement en banlieue newyorkaise. Le scénario s’attache méticuleusement à nous faire partager le quotidien de cette famille, et les différents évènements qui vont peu à peu les interroger sur le virage malsain orchestré par le nouveau gouvernement Lindbergh. Le premier incident est le désir avorté du déménagement des Levin dans une maison plus cossue. Le malaise ressenti lors de la visite est une première alerte de la suite des hostilités. La visite de la ville de Washington où l’hôtel les oblige à partir, la malveillance grandissante de certains concitoyens,… tous ces actes infamants et humiliants les plongent dans une inquiétude grandissante. Surtout que les agresseurs sont de plus en plus désinhibés, ouvertement soutenus par les forces de l’ordre. 

Tandis que Charles Lindbergh suspend l’assistance militaire octroyée au Royaume-Uni, des figures ouvertement connues comme antisémites sont invitées à faire partie des membres de son gouvernement (comme Henry Ford). De surcroît, le nouveau président convainc le rabbin Bengelsdorf (John Torturro) de s’unir à lui afin d’entreprendre un programme « d’assimilation juive », le « Just Folks », incitant les jeunes citadins de confession juive à passer l’été dans de lointaines contrées campagnardes, accueillis par des fermiers, en vue d’assimiler ce que représente « l’authentique » famille américaine. Le rabbin, arriviste et désirant faire partie du groupe présidentiel, défend bec et ongle la politique de ce marionnettiste malhonnête. L’illusion est au niveau de ses ambitions. Et il entraîne avec lui la sœur de Bess, Evelyn Finkel (Winona Ryder), dont il tombe amoureux. Ces liens seront source de conflits de plus en plus destructeurs pour la famille Levin et leurs proches. 

Cette mini-série de six épisodes analyse avec justesse la mécanique fasciste, en mettant en exergue la toile méticuleusement tissée par C. Lindbergh. Les évènements néfastes s’enchaînent par petites touches, inexorablement. Les signaux sont de plus en plus perceptibles, la démocratie s’effrite au fur et à mesure des décisions gouvernementales, et les barrières qui servaient de garde-fous tombent les unes à la suite des autres, entravant implacablement les libertés de ces citoyens américains montrés du doigt. La crainte s’installe, le sentiment d’angoisse s’accroît, et un terrible sentiment d’impuissance anéantit toutes ces personnes qui se sentent maintenant vulnérables et en danger, abandonnées par leur patrie, et esseulées. La sauvegarde de leur citoyenneté est désormais caduque, leurs droits fragilisés, l’ordre social bafoué. 

David Simon fut d’abord journaliste, avant de se consacrer complètement au métier de scénariste. Il est important pour lui d’entreprendre des recherches historiques précises avant de plonger dans une nouvelle aventure scénaristique. Et d’avoir le temps d’exposer le récit, afin d’en connaître les moindres éléments constitutifs. C’est pour cette raison qu’il aime travailler sur des séries, ayant ainsi la possibilité de développer et détailler minutieusement son propos. Il est évident qu’avoir une entrevue avec l’auteur de « The plot against America » fut une évidence. Il confie : « Quand j’ai rencontré Philip Roth, avant sa mort, nous avons parlé de Lindbergh et comment, en effet, il aurait pu battre Roosevelt grâce à sa notoriété. C’est ce parallèle avec d’autres célébrités d’aujourd’hui qui m’intéresse. C’est de montrer les risques qu’il y a à croire en ces célébrités et à les élire à la tête de tel ou tel pays.  Imaginez combien c’était difficile à l’époque de voir Lindbergh comme un danger quand il avait accompli de tels exploits avec son petit avion et au péril de sa vie. C’est un véritable danger de croire en ce genre de « héros » ayant des visions aussi extrêmes. Je me souviens que mon père, jeune garçon, avait été forcé d’aller admirer Lindbergh avec son grand-père dans une parade à New-York, alors qu’il est juif et que clairement, Lindbergh était antisémite » (Allociné).

Philip Roth, lui, s’est remémoré ces évènements car ils ont eu lieu lorsqu’il était enfant. Le livre « The plot against America » raconte aussi l’histoire du romancier. Son personnage principal est un jeune garçon de famille juive qui porte son nom, Philip Roth, et qui vit dans le New Jersey à Newark, lieu de résidence de l’écrivain à cette époque. Il a de surcroît attribué aux parents de son jeune héros les mêmes prénoms que ceux de ses parents. 

Quant à l’histoire de Charles Lindbergh, il est intéressant d’en rappeler certains évènements. Il est bien évidemment un héros légendaire, dû à son exploit d’avoir été le premier pilote à relier New York à Paris, sans escale et en solitaire. Mais hélas il est aussi un sympathisant nazi. Il est décoré de l’Ordre de l’Aigle allemand par H. Göring le 18 octobre 1938. Et affirme que le chancelier Hitler est un « grand homme ». Au début de la seconde guerre mondiale, il œuvre pour la neutralité américaine et devient, en 1940, un des leaders du mouvement isolationniste « America First ». Lors d’un de ses meetings à Des Moines, il questionnera : « Qui sont les agitateurs bellicistes ? » Sa réponse sera :  « Les britanniques, les juifs et l’administration Roosevelt ». Son image s’inscrit de plus en plus vers celle d’un antisémite, sympathisant du Führer. Sa pensée bifurquera après l’attaque de Pearl Harbor en décembre 1941. Nous comprenons là comment la résurgence des lointains souvenirs de Philip Roth a influencé le contexte historique et politique de son roman. David Simon explique d’ailleurs ce qui l’a beaucoup intéressé dans cette histoire : « Roth s’est souvenu de cette histoire parce qu’elle fait partie de son enfance. Ce moment est une sorte d’allégorie qui rappelle à quel point les USA évoluent sur une ligne fine. Pour un pays jeune, je nous trouve parfois très naïfs, notamment dans notre confiance en la sécurité de nos institutions démocratiques. La démocratie est toujours une affaire très vulnérable. Elle s’appuie sur une population éduquée, un accès à une information indépendante et de nombreux autres systèmes qui permettent d’observer et de contrebalancer le pouvoir. Et l’une des forces du roman de Roth, c’est de raconter ce qu’il se passe quand l’un de ces garde-fous cède. » (Interview David Simon, Biiinge Konbini)

Le caractère dystopique de cette plongée dans une idéologie néfaste rappelle au scénariste combien l’actuel pouvoir politique aux États-Unis le choque : « En lisant le roman aujourd’hui, le monde de Trump, du Brexit, de la désinformation, de la xénophobie et de la peur devient limpide. Les parallèles sont manifestes et ils soulignent l’utilité de l’histoire qu’il raconte, incroyablement pertinente. » (Libération) 

David Simon, nous l’aurons compris, aime observer son pays, décortiquer son histoire, analyser les évènements, anciens ou contemporains, tant au niveau sociétal que politique. 

Dans « The plot against America” il a tenu à nous faire partager les joies et les épreuves de cette communauté soudée, en s’attachant au tissu social, à l’interaction des liens entre les personnages. Et cela en s’appuyant avec justesse sur une reconstitution historique remarquable de l’Amérique des années 40. 

Pour réaliser ces six épisodes, deux réalisateurs se sont partagés le travail : les épisodes de 1 à 3 ont été confiés à Minkie Spiro, les épisodes de 4 à 6 à Thomas Schlamme. Quant à la direction de la photographie, Martin Ahlgren en fut le chef d’orchestre. Sa principale inspiration fut « l’âge d’or du photojournalisme » des années 30 aux années 50. Une photographe comme Margaret Bourke-White, dont les magnifiques tirages en noir et blanc relatent un réalisme social fort, a influencé son travail. Tout comme Helen Levitt, qui a abondamment photographié la vie quotidienne et les enfants à New-York. Toutes ces images sont visuellement et socialement passionnantes et une source référentielle indéniable. Robert Frank fut aussi une influence majeure pour aiguiser la composition esthétique de l’image recherchée. Martin Ahlgren explique ces références : « Les photographes de cette période ont créé des images qui racontaient des histoires humaines compliquées avec authenticité et ambiguïté. Les photographies ont une élégance et une immédiateté qui vous mettent directement dans la scène, souvent en utilisant des objectifs plus larges près de l’action, avec une plus grande profondeur de champ et des cadrages qui présentent des niveaux de profondeur qui nous permettent de regarder autour et de trouver plusieurs zones d’intérêt » (nofilmschool.com). Car le directeur de la photographie désirait avant tout permettre au téléspectateur de découvrir un lieu, d’en scruter de multiples fragments, lui offrant la possibilité de faire vagabonder son œil au fil de ces cadrages riches en minutie et en nuances. Les variations lumineuses, la multitude de détails au sein d’un même cadre, la construction de l’image jouant sur les zones sombres, la lumière, les ombres… tout se dirige vers une volonté de stimuler nos sens. Martin Ahlgren renchérit : « Nous voulions un contraste accru, des ombres dramatiques, des compositions graphiques, mais une lumière réelle et authentique, telle qu’elle a été capturée par les photojournalistes de l’époque, mais en couleur. » En ce qui concerne l’éclairage, le précepte était donc l’impression de réalité. Le directeur de la photographie joua sur « la lumière naturelle des fenêtres, la lumière du soleil qui traverse un visage, une lampe pratique utilisée comme source d’éclairage unique, les visages dans l’ombre sur un fond plus lumineux. » (nofilmschool)

La qualité stylistique et esthétique de « The plot against America » est le résultat d’une longue recherche historique, plastique, sculpturale, chromatique, formelle, au service de l’essence même du roman de Philip Roth. La qualité de cette mini-série est de haut niveau, et son message enrichissant, salutaire et essentiel. 

 

 

 

Réalisé par Minkie Spiro et Thomas Schlamme /Scénario : Ed Burns, David Simon et Reena Rexrode / Direction de la photographie : Martin Ahlgren / Sociétés de production : Annapurna Pictures, Blown Deadline Productions et RK Films / Société de distribution : Home Box Office

 

 

 

Top of the Lake par Jane Campion

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La réalisatrice néo-zélandaise Jane Campion a créé une fantastique et singulière mini-série télévisée de six épisodes. « Top of the lake » est un petit bijou fantasmagorique illuminé par une photographie à la fois poétique et ténébreuse.

 

Afin d’élaborer ce projet elle a choisi de travailler en équipe. L’histoire et coécrite avec Gerard Lee, ami et ancien compagnon avec lequel elle avait déjà collaboré (sweetie 1989). Quant à la réalisation, elle a confié trois des épisodes aux mains de Garth Davis (plutôt connu dans la publicité). Les trois autres étant mis en scène par elle-même.

Jane Campion a envisagé l’écriture de cette série comme celle d’un roman, chaque épisode d’une heure représentant un chapitre. Cette œuvre télévisuelle, coproduction américaine, britannique et australienne, fut présentée au festival de cinéma de Sundance, à celui de Berlin, ainsi qu’à Cannes.

Jane Campion y explore plusieurs personnages avec une belle intensité, en pénétrant petit à petit dans l’intimité de chacun d’entre eux, perdus dans la splendeur sauvage et indomptable du paysage de l’île sud de la Nouvelle-Zélande, près du lac Wakatipu. La cinéaste tenait à tourner dans son pays d’origine, au milieu de cette nature absolument magnifique, ce paradis à l’état brut qui vous relie à l’essence même de la terre et de ses éléments. Elle-même parle de relation passionnée avec ce paysage qu’elle a bien connu et qui la fascine, comme s’il pouvait avoir une vertu salvatrice sur l’homme, à condition bien évidemment qu’il accepte de lâcher prise.

La cinéaste nous y présente différents personnages, dont une fillette de douze ans, Tui (Jacqueline Joe), qui se révèle être enceinte de cinq mois. La petite disparaît et Al Parker (David Wenham), un inspecteur de la petite ville de Lake Top, confie les investigations à une jeune enquêtrice de la brigade des mineurs de Sydney, Robin Griffin (Elisabeth Moss), qui se trouve dans le coin en raison d’une visite à sa mère malade. L’autre figure très influente de Lake Top, dénommée Matt Mitcham (Peter Mullan), est le père de Tui. Il est une sommité dans le domaine des stupéfiants. C’est un père despotique vis à vis de ses fils, autant qu’il est violent envers ceux qui contrecarrent ses moindres décisions. Quant au personnage haut en couleur de cette aventure, GJ (jouée par Holly Hunter), c’est une sorte de maître spirituel d’une communauté regroupant des femmes paumées et méprisées, et nouvellement installées au milieu de nulle part. Là où la nature vous encercle de sa beauté,  et dont le nom n’est autre que « Paradise ». Belle ironie vis à vis de ces personnages meurtris par la vie ! Point d’héroïsme chez les protagonistes de cette série. Chacun s’immerge au plus profond de lui-même et fait face à son existence et à ses torpeurs.

Et cela au côté d’un personnage à part entière : le paysage. Le lac, les montagnes et la forêt encerclent et entortillent de leur présence spectaculaire, magnifique et inquiétante, les êtres qui tentent d’exorciser les souffrances et les tourments qui les habitent. La cinéaste nous plonge dans un univers où s’enchevêtrent nature et humains, avec pour toile de fond une mystérieuse enquête criminelle.

Nous y retrouvons le perpétuel questionnement de Jane Campion sur la condition de la femme dans la société, au sein d’une sphère archaïque où les mœurs et l’organisation sociale reposent sur une autorité masculine oppressante. La brutalité, la sauvagerie, la nature, la quête humaine… tous ces thèmes nous ramènent à cette créatrice fondamentale qui a empreint le cinéma de films tels que « La leçon de piano », « In the cut », « Bright star »… Un regard de femme.

Série dramatique crée en 2013 par Jane Campion et Gérard Lee. Scénario de Jane Campion et Gérard Lee. Réalisation de Jane Campion et Garth Davis. Produit par Philippa Campbell, Iain Canning et Emile Sherman et photographie d'Adam Arkapaw. Distribué par Brtish Broadcasting Corporation, Sundance Channel et BBC. Avec Elisabeth Moss, Gwendoline Christie, Nicole Kidman, Alice Englert, Jacuqeline Joe, Thomas M. Wright, David Wenham, David Dencik, Peter Mullan.

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